Handicap et emploi : "Je dirais à ceux ou celles qui hésitent à mettre une RQTH sur un cv, il faut moins hésiter" conseille Philippe Trotin, directeur de la mission handicap chez Microsoft France - arpejeh

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Handicap et emploi : « Je dirais à ceux ou celles qui hésitent à mettre une RQTH sur un cv, il faut moins hésiter » conseille Philippe Trotin, directeur de la mission handicap chez Microsoft France

Philippe Trotin est directeur de la mission handicap et de l’accessibilité numérique chez Microsoft France. Il a, depuis peu, rejoint le Conseil d’administration de l’association arpejeh. L’occasion de faire le point, avec lui, sur le sujet de l’inclusion des jeunes en situation de handicap dans le monde du travail. Il partage son expérience, ses conseils, et livre ses espoirs sur une évolution positive du regard des recruteurs.

Comment appréhendez-vous ce nouveau rôle ?

J’étais en contact avec la déléguée générale depuis quatre ou cinq ans, et nous tentions de réfléchir à ce que nous pourrions faire en commun. A l’époque, à Microsoft, nous n’étions pas forcément très matures sur l’accueil des jeunes en entreprise. Nous n’avions pas non plus un gros réseau de volontaires nous permettant d’organiser l’accueil ou des présentations à des jeunes. Et puis, il y a un peu plus d’un an, on s’est dit qu’on était enfin prêts pour démarrer une activité, qui est désormais assez importante avec arpejeh. Dans l’année, on a fait six ou sept sessions de présentation à des classes ou à des enseignants. Quand j’ai été contacté pour venir « rejoindre les rangs » de cette association, j’étais ravi.

A Microsoft, nous avons une vraie motivation à faire monter les jeunes sur la tech, car on sait que de plus en plus de métiers l’utilisent au quotidien. Le fait de leur donner des clés, de leur présenter des jobs est ultra positif. On s’est même aperçu, à l’occasion d’une des visites au siège, d’un jeune qui -alors qu’il n’avait pas du tout envisagé de travailler dans ce domaine- est ressorti d’ici visiblement ultra-motivé pour se former. C’était assez intéressant. On s’aperçoit qu’il y a une méconnaissance totale de ces jobs. En réalité, cela correspond à plein de métiers différents, du contact-client, de l’intelligence artificielle, des sujets de reporting. C’est très varié !

Vous êtes en charge des sujets liés au handicap au sein de Microsoft. Quelle est la vocation de votre fonction ?

Déjà, c’est un job que j’ai créé, car il n’existait pas chez Microsoft. Il y a environ sept ans, j’avais commencé à travailler sur ce pilier de diversité qu’est le handicap. Dans toutes les grandes entreprises, on s’intéresse beaucoup à ces sujets de diversité et d’inclusion. Les études qui sont menées montrent que c’est très efficace à la fois pour la culture de l’entreprise, pour maintenir les collaborateurs en poste, pour attirer les meilleurs talents. Ce sont des sujets que nous avons besoin de travailler. A l’époque, le principal pilier qui existait c’était « l’égalité hommes-femmes ». On sait que dans les métiers de la tech, il y a très peu de femmes. Il n’y en a quasiment pas dans les écoles d’ingénieurs. Et donc c’était une vraie préoccupation. En complément de ce pilier « genre », j’avais donc créé un pilier « handicap ». D’autres ont suivi, autour des sujets « lgbtqia+ », « seniors/juniors ». J’avais échangé avec les Ressources humaines. A ce moment-là, le comité de direction avait lancé une étude pour voir la situation du handicap dans l’entreprise. On était mauvais… Lorsque l’on interrogeait les collègues, ils nous disaient « le handicap, ça n’existe pas », « on n’en rencontre pas chez nous ou chez nos clients »… Des banalités qui, aujourd’hui, nous font sursauter en disant « c’est du grand n’importe quoi ! ».

On a donc monté une mission handicap, avec une délégation de temps d’une journée par semaine pour travailler sur le handicap interne. Avec l’objectif d’élaborer un accord handicap à l’horizon de trois ans, que l’on a ensuite effectivement signé. Notre but était de changer la culture en interne, d’inviter les collaborateurs à se déclarer s’ils avaient des besoins spécifiques d’adaptation. Et puis, avec ma formation en école d’ingénieur, je me suis dit que, dans une entreprise de tech, on ne parlait pas de tous ces produits, ces solutions d’accessibilité. Pourquoi ne pas en faire un job qui cumule à la fois les fonctions internes de référent handicap et externes sur l’accessibilité numérique ? J’ai alors présenté un business-case à l’ancien président de l’entreprise Carlo Purassanta. Il m’a dit « C’est formidable. Go ! Je te donne ce job-là ! »

Vous estimez que l’accessibilité de demain passera forcément par la technologie ? Microsoft, avec son savoir-faire et ses compétences, pourra-t-il faire avancer cette cause plus rapidement ?

Oui, nécessairement. Et pour plusieurs raisons. D’abord on voit que les jeunes sont beaucoup plus fervents de numérique que les générations précédentes. Moi je suis sorti de l’école d’ingénieur l’année où sont sortis les premiers PC. On voit bien à quel point la tech a pris de l’ampleur dans la société. Deuxièmement, la tech progresse au sein des jobs. Plus de 70% des métiers intègrent de la tech et cela ne fait que progresser. D’autre part, on sait qu’il existe un vrai retard de recrutement dans le handicap. Les entreprises ne sont pas armées et ne savent pas comment s’y prendre. Il y a donc ce niveau de responsabilisation qui consiste à travailler sur des environnements techniques qui permettent à toutes ces personnes de pouvoir travailler.

Comment changer la donne, concrètement ?

Finalement, dans un recrutement classique, que se passe-t-il ? Il faut réussir à permettre que les candidats se présentent dans l’entreprise, ce qui implique, évidemment, un site web accessible. Si la personne ne peut pas consulter les informations sur l’entreprise, elle ne se présentera jamais. Ensuite il faut que les RH puissent identifier ces potentiels talents. Et enfin les managers doivent prendre la décision de recruter, ou pas. Or dans ces sujets, souvent, les ressources humaines n’ont pas la connaissance de ces environnements techniques et ne savent pas s’ils sont accessibles. Et, de temps en temps, elles ne retiennent pas des cv en se disant « Je vais mettre cette personne en situation d’échec parce que notre environnement technique n’est pas accessible. » Et, de fait, cette candidature n’ira même pas jusqu’au manager, qui pourrait dire « oui, je connais l’environnement technique, il est accessible, donc pas de problème. » Il y a donc une vraie demande des entreprises sur la formation aux solutions d’accessibilité numérique, et de sensibilisation. On peut même aller encore plus loin puisque l’on peut accompagner les entreprises sur des créations de produits ou de services accessibles.

On peut donc aller jusqu’à affirmer que le handicap crée de l’emploi ?

Oui, cela crée potentiellement de l’emploi. On sait, par ailleurs, qu’il existe un déficit de personnes pour certains métiers. Et, à côté de cela, on a des pools de talents en situation de handicap qui ne sont même pas sollicités pour aller faire ces jobs.

Revenons, de fait, au rôle joué par arpejeh. Le plein emploi est aujourd’hui dans la ligne de mire des pouvoirs publics. Les jeunes deviennent progressivement les maîtres du jeu en ayant la possibilité de choisir leur employeur. Et pourtant, on a toujours de nombreux jeunes en situation de handicap qui restent fortement impactés par le chômage. Comment faire évoluer cet état de fait?

On observe déjà une évolution, avec une amorce plutôt positive sur les recrutements. Prenons quelques chiffres très factuels. Chez Microsoft, il y a quatre ans, je faisais environ une vingtaine de présentations de solutions d’accessibilité numérique aux entreprises… par an. Il y a trois ans, j’en ai fait 80. L’année suivante, j’en ai cumulé 110. Et, l’année dernière, j’en ai organisé 160. Donc on voit bien que les entreprises sont très demandeuses d’information, et de connaissance et compétences sur ces sujets d’accessibilité. A côté de cela, on a une loi qui pousse beaucoup, que ce soit au niveau français ou européen, avec un certain nombre d’obligations légales. A partir du moment où on explique aux entreprises que cela va leur coûter cher de ne pas faire les efforts nécessaires, elles s’y intéressent… Une entreprise qui constate qu’elle donne beaucoup d’argent -sous forme d’amende- à l’État, elle va plutôt choisir de payer une ressource en interne pour gérer le sujet. J’y vois donc un signe positif.

On voit aussi beaucoup d’initiatives innovantes, dans le secteur privé et le secteur public. Par exemple, du côté de Nice, un projet a été lancé auprès des jeunes neuro-atypiques, des problèmes de dyslexie ou de dysorthographie. On y met à disposition des jeunes des kits permettant d’avoir des outils pour pouvoir être autonomes. L’idée est ne pas demander à l’entreprise de fournir les solutions, mais plutôt de former les jeunes de façon à ce qu’ils soient moins limités lorsqu’ils iront présenter leur candidature. On voit aussi des initiatives autour des personnes autistes, à propos desquelles quelques entreprises se disent « Cela peut être des bons talents pour nous. On n’est peut-être pas armés, mais on va se former pour lancer quelques tentatives pour leur permettre d’occuper ces emplois ». Sans négliger les solutions plus traditionnelles : le numérique a beaucoup aidé les personnes malentendantes ou mal-voyantes, grâce à l’évolution des outils et notamment l’intelligence artificielle. Au passage, on constate aussi que le télétravail a accéléré considérablement les possibilités pour certaines personnes en situation de handicap d’occuper certains postes.

Si vous étiez intervenant dans l’un des « Forum de découverte des métiers » qu’arpejeh organise, que diriez vous à un ou une jeune en situation de handicap pour lui redonner la confiance dans sa quête d’orientation scolaire ou professionnelle ?

Je suis moi-même dysorthographique. A mon époque, il n’y avait aucune aide, aucun logiciel ni ordinateur permettant de pallier certaines difficultés. Cela ne m’a pas empêché de faire une école d’ingénieur et d’intégrer une entreprise comme Microsoft, où tout est possible. On a beaucoup d’exemples de collègues en situation de handicap, qui ont -certes- bataillé pour occuper un emploi, mais qui l’occupent et sont tout à fait performants pour cela. Je dirais à ceux ou celles qui hésitent à mettre une RQTH sur un cv, il faut moins hésiter. Ne pas le mettre comme en-tête du CV pour dire « recrutez-moi parce que je suis en situation de handicap », mais plutôt comme un état de fait « J’ai une RQTH, je conduis une voiture, je parle une langue particulière… » Il faut que cela soit une qualité de la personne. Et, simplement, être très honnête vis-à-vis du recruteur en expliquant : « Si j’ai ces adaptations-là, je peux travailler dans de bonnes conditions. »

Ensuite, je discuterais avec ce jeune pour savoir ce qu’il a envie de faire. Il existe beaucoup d’opportunités, notamment dans les sujets autour de l’intelligence artificielle ou de la cybersécurité. Les jeunes n’y sont pas forcément bien préparés dans le contexte scolaire. Et les entreprises mettent la main à la poche pour former des gens sur ces domaines-là. Si les jeunes ont cette volonté de se diriger vers ces métiers, tout est possible. Et puis enfin, il y a aussi des domaines moins classiques. On parle beaucoup de réalité virtuelle… Et on a besoin de gens qui font du graphisme. Je pense à deux jeunes autistes que j’ai rencontrés à Lille dans un salon il y a plusieurs années, avec leur maman. Ils aimaient jouer aux jeux vidéos. Je leur ai répondu « Qu’est-ce que vous voulez faire dans ce domaine ? Du graphisme, du développement, être scénariste, faire de la musique, des effets spéciaux ? »  Aujourd’hui, un jeu video, c’est un film. Cela implique tellement de métiers que l’on peut trouver sa voie, quelle que soit son appétence, ses capacités, ses envies.

En résumé, à un moment donné, il faut simplement regarder, peut-être par rapport à son handicap, les métiers pour lesquelles les barrières sont peut-être trop importantes. Et, en revanche, savoir qu’il existe un pool de métiers qui ne sont peut-être pas imaginés par ces jeunes, mais sur lesquels ils auront toute capacité à travailler.

Propos recueillis par Yannick Kusy